N. Deflou-Leca u.a. (Hrsg.): Établissements monastiques et canoniaux dans les Alpes du Nord Ve –XVe siècle

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Titel
Établissements monastiques et canoniaux dans les Alpes du nord, Ve-XVe siècle.


Herausgeber
Deflou-Leca, Noëlle; Demotz, Fabrice
Erschienen
Rennes 2020: Presses Universitaires de Rennes (PUR)
Anzahl Seiten
352 S.
von
Yannick Veyrenche

On trouvera ici un état des lieux collectif qui donne accès à des recherches récentes ou en cours, qui rend compte de la diversité des approches et qui renouvelle un sujet parfois rapidement perçu comme classique tant il est balisé, de part et d’autre des frontières, par l’Helvetia Sacra, par les actes du colloque Monasteri in alta italia dopo le invasioni saracene e magiare (1964) ou bien encore par les synthèses de Bernard Bligny puis de Giuseppe Sergi. L’ouvrage reflétant avant tout les dynamiques de la recherche (sans viser l’exhaustivité), il ne sert à rien d’en pointer les possibles lacunes. Tout au plus peut-on noter que les Cisterciens et les Chalaisiens y occupent une place assez discrète, tout comme les pratiques de l’écrit: seul le bilan que propose Arnaud Delerce sur les chartriers perdus d’Abondance, d’Aulps et de Vallon aborde les problèmes liés aux sources, en particulier leur éclatement entre différents fonds d’archives. Les directeurs signalent auss l’absence des ordres religieux-militaires et la place restreinte accordée, d’une part, aux moniales et, de l’autre, aux chanoines réguliers, quand bien même de solides contributions éclairent le développement des établissements de moniales cartusiennes (Mathilde Duriez), des chanoines réguliers du Chablais (Sidonie Bochaton, Arnaud Delerce) et des Antonins (Julie Dhondt).

Les 19 contributions sont distribuées en trois parties: «La lente occupation monastique des Alpes», «Les moines dans la société alpine (XIe –XIIe siècle)», «Espace et contrôle des territoires de montagne». L’échelle d’analyse varie, entre dynamiques observées à l’échelle des «Alpes du Nord» ou d’un territoire donné (le Piémont, le diocèse de Grenoble) et mises au point consacrées à des établissements particuliers, sur la base de leurs archives ou d’investigations archéologiques récentes, en premier lieu à Saint-Maurice d’Agaune. La notion d’«Alpes du Nord» nous ramène principalement au Valais, à la Savoie (prédominante) et au nord du Dauphiné (département de l’Isère), avec néanmoins un excursus vers le Piémont.

Couvrant un millénaire d’histoire des massifs alpins, l’ouvrage permet de préciser la chronologie des différents établissements et réseaux monastiques. En tête figure tout naturellement un bilan des fouilles récentes dirigées par Alessandra Antonini à Saint-Maurice d’Agaune, où la vie religieuse n’a jamais été interrompue depuis 515, quand des moines sont installés auprès du sanctuaire martyrial du Martolet à l’occasion de la conversion au catholicisme du roi burgonde Sigismond. Cela donne naissance à un complexe monastico-politique composé d’une aula, d’un portique, d’un baptistère et de basiliques funéraires. En lien avec le pôle monastique lyonnais ou grinien, Agaune constitue un remarquable relais de la culture littéraire chrétienne (Éric Chevalley). Pendant cinq siècles, le monachisme alpin est réduit à quelques gros établissements de vallée avant la floraison qualifiée classiquement de «conquête religieuse des Alpes». Laurent Ripart constate qu’à la veille de la fondation de la Grande Chartreuse, les réseaux de prieurés s’égrènent encore le long des grands itinéraires antiques. Les véritables monastères de montagne ne naîtraient qu’au début du XIIe siècle, précédés par des réseaux canoniaux et hospitaliers associés au franchissement de grands cols. Jacques Bujard propose ainsi une restitution architecturale convaincante de l’église de Bourg-Saint-Pierre dont la reconstruction, engagée peu avant 1020, précède le développement de l’hospice du Grand-Saint-Bernard. Toute-fois, s’il y a bien une avancée des religieux dans les massifs – due dans un premier temps à des réseaux extérieurs aux «Alpes du Nord», La Chaise-Dieu, Saint-Chaffre et Oulx? (N. Deflou-Leca) –, les moines et chanoines ont généralement été précédés par d’autres et ils accompagnent une montée de l’habitat permanent. À cet égard, il est regrettable qu’aucune contribution ne s’appuie sur une restitution du paléoenvironnement ou sur une mise en contexte de la présence monastique sur les alpages. 1

Les problèmes de la fin du Moyen Âge ne sont pas délaissés. L’autonomie des ordres religieux est mise en péril par le système de la commende, généralement néfaste au patrimoine des anciens établissements comme le prieuré de Talloires, atteint en 1397 (Henri Comte). À Tamié, les moines tendent à perdre le droit d’élire leur abbé (Christian Regat). Le schisme accélère la décomposition du système de contrôle mis en place lors du réarrangement institutionnel clunisien du tournant du XIIIe siècle (le «Cluny après Cluny» de Gehrt Melville), qui avait réparti les prieurés en provinces dirigées par des camerarii ou provisores, mis d’abord à mal par les ingérences de certains évêques comme celui de Bâle (Hans-Joachim Schmidt). Néanmoins, d’autres ordres religieux, plus dynamiques, parviennent alors à développer leur réseau dans les massifs alpins: les Antonins, dont la structuration en ordre date seulement du milieu du XIIIe siècle (alors que l’ergotisme décline) car la papauté pousse au regroupement (J. Dhondt); les ordres mendiants, dont le développement est ici tardif (Sophie Delmas). Amélie Roger étudie l’insertion des Dominicains dans la ville d’Annecy, dont ils façonnent un quartier, suite à la fondation du couvent déléguée par le pape Martin V au cardinal de Brogny.

L’inscription des fondations étudiées dans une histoire des pouvoirs, à différentes échelles, est un point fort de l’ouvrage. F. Demotz revalorise le rôle du dernier roi de Bourgogne Rodolphe III († 1032), qui s’appuyait sur son entourage d’évêques et de fidèles. Puis, la multiplication des prieurés et l’avancée des moines dans les massifs correspond à un élargissement du cercle des partenaires laïques, phénomène analysé par N. Deflou-Leca à l’échelle du diocèse de Grenoble. Aux Xe et XIe siècles, un maillage d’Eigenklöster épiscopaux fondés avec des motifs «analogues à ceux des laïcs» relaie l’influence des prélats piémontais selon Caterina Ciccopiedi, puis les évêques doivent composer avec la recherche de l’exemption de monastères comme Saint-Michel-de-la-Cluse. Sylvain Excoffon s’intéresse à l’inverse à l’influence des Chartreux sur les sièges épiscopaux alpins, jusqu’ici surévaluée par l’historiographie. Deux études de cas analysent les formes de puissance monastique à l’échelle du Chablais: Nicolas Carrier montre que le contrôle seigneurial des moines s’appuie autant que faire se peut sur le «triangle servile» (un homme, une tenure, un seigneur) et, à partir du milieu du XIIIe siècle, sur la justice; S. Bochaton compare les traductions architecturales de la puissance des religieux à Meillerie, dépendance du Grand-Saint-Bernard transformée en maison forte au moment où le prévôt obtient la justice de cette localité, et Saint-Paul-en-Chablais, dépendance du monastère lyonnais de Savigny placée sous la tutelle des Blonay, dont c’est la nécropole familiale. Néanmoins, le fonctionnement des seigneuries monastiques n’est pas envisagé hors des comtés de Savoie et de Genevois, et une comparaison avec les monastères dauphinois aurait été utile.

Comment ces fondations monastiques tirent-elles parti des espaces naturels spécifiques où elles s’insèrent? Du haut Moyen Âge aux Antonins, la notion de «monachisme de routes» revient souvent sous la plume des auteurs. En effet, le monachisme alpin est d’abord un phénomène de vallées associées à la circulation et au franchissement des cols. Les Mendiants s’implantent prioritairement dans les villes, dont ils façonnent certains quartiers, sauf les Mineurs Observants de Myans (1458) qui investissent un site lié à l’éboulement du mont Granier. S. Delmas constate qu’aucun grand prédicateur ne vient des Alpes du Nord, mais que les couvents de la région disposaient de riches bibliothèques et que leur pastorale, suivant les exempla déjà étudiés par Jacques Berlioz, n’était pas dépourvue d’allusions ou anecdotes liées au milieu montagnard. Inversement, le milieu montagnard peut constituer par sa rudesse le cadre d’une ascèse. Catherine Santschi repère dans le monachisme alpin une tension de longue durée entre la solitude de l’athlète de Dieu et le cadre communautaire. M. Duriez examine les choix topographiques parfois radicaux des moniales cartusiennes, qui tranchent avec le moindre isolement des autres monastères féminins.

En fin de compte, voilà un ensemble de bonnes mises au point, œuvre d’auteurs issus d’horizons variés. On peut regretter l’absence d’une cartographie unifiée et surtout d’un index qui aurait permis, par exemple, d’identifier le cardinal de Brogny Jean Fraczon, fondateur des Dominicains d’Annecy (p. 136) avec Fraczos, prieur commendataire de Talloires (p. 185). Par ailleurs, on pouvait s’attendre à une mise en œuvre plus pointue des potentialités de la géomatique.

Notes
1 Voir entre autres les jalons fournis par Fabrice Mouthon, Montagnes médiévales. Les alpages de Savoie, Dauphiné et Provence du XIIe au XVIe siècle, Chambéry 2019 (coll. «Sociétés Religions Politiques», 46).

Zitierweise:
Veyrenche, Yannick: Rezension zu: Deflou-Leca, Noëlle; Demotz, Fabrice (dir.): Établissements monastiques et canoniaux dans les Alpes du Nord Ve –XVe siècle. Actes du colloque international du Château de Ripaille, 5–6 novembre 2015, Rennes, 2020. Zuerst erschienen in: Schweizerische Zeitschrift für Geschichte 73(1), 2023, S. 51-54. Online: <https://doi.org/10.24894/2296-6013.00120>.

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